Analyse 2008-12

Une question ancienne dans un contexte nouveau. On en parlait et on en parle. Depuis quelques années déjà, le concept d’habitat groupé revient régulièrement à la une de l’actualité, avec des motivations diverses d’ailleurs, dont l’accent varie suivant le contexte global de l’actualité : tantôt l’intergénérationnel et toute la problématique de la longévité, tantôt la convivialité, tantôt les économies d’échelle et tantôt encore les préoccupations environnementales.


Dans le contexte de crise économique que nous connaissons, certains accents se porteront inévitablement sur les soucis financiers. Espérons que grâce à une attention aux plus faibles, dont les politiques devraient faire preuve dans les mesures de relance à mettre en Å“uvre,  nous n’aurons pas à aborder dans les mois à venir la question d’habitat groupé non plus choisi, mais forcé par des situations familiales de précarité financière. Ce serait hélas un tout autre sujet, auquel les milieux les plus pauvres ont toujours été confrontés. Des associations comme « ATD Quart Monde[1] » ou « Action Vivre Ensemble[2] » travaillent d’ailleurs ces réalités au jour le jour.


Par ailleurs, sous des formes très diverses, ce n’est pas une question de notre seule époque. Peut-être faudrait-il parler d’un contexte contemporain pour une préoccupation qui habite l’humanité depuis ses origines.


Des cavernes de la préhistoire aux phalanstères de Charles Fourier au XIXme siècle en effet, ce sont les mêmes besoins et les mêmes désirs qui ont conduit les humains à s’interroger sur leur habitat, que ce soit en tribu, en famille nucléaire, en village fortifié ou encore en communauté. Sécurité, partage des tâches et des compétences, économies d’échelle, convivialité… autant de raisons de se mettre en recherche, et celle-ci se décline nécessairement en fonction du contexte de vie économique et culturel du temps.
Une situation inédite entre toutefois en ligne de compte aujourd’hui dans les approches de ce qu’on appelle l’habitat groupé, c’est, dans nos pays tout au moins, l’allongement extrêmement rapide que connaît l’espérance de vie. L’engouement qu’avait connu le concept de vie communautaire en un habitat qui permette de le concrétiser au mieux, concept né des années de la « révolution des fleurs » et de mai 68, n’en est pas totalement gommé pour autant. C’est même peut-être le contraire.


Résurgence des années 60


En effet, ne serait-ce pas chez les « anciens », qui ont été imprégnés de cette mentalité, sans parvenir pour autant à la concrétiser dans la plupart des cas, que refait surface cette « utopie communautaire », avec notamment pour objectif un avenir plus sécurisant psychologiquement et plus autonome que les homes pour personnes âgées et autres résidences ?


Comment ne comprendrions-nous pas cette préoccupation, quand on voit la difficulté qu’éprouvent tant de personnes âgées pour éviter l’isolement. Ce n’est pas que cette peur de l’isolement dans la vieillesse soit nouvelle, mais c’est la masse de personnes aujourd’hui concernées qui est un phénomène nouveau. De quelques dizaines il y a 30 ans, les centenaires dans notre pays sont aujourd’hui plus de 1000.


Dans nos pays – car la question ne se pose malheureusement pas de même partout puisque, si l’espérance de vie tourne autour des 80 ans chez nous, elle n’est que de 40 par exemple, dans un pays comme le Mali - , c’est donc bien l’allongement de l’espérance de vie qui est la préoccupation essentielle, des personnes comme de la collectivité.


Les personnes, de plus en plus nombreuses, qui avancent en âge bien au-delà des perspectives des années précédentes, s’interrogent sur leur vieillesse à venir, ou plutôt même sur leur vieillissement, dans la mesure ou de plus en plus d’exemples concrets de personnes qui vivent leur troisième, leur quatrième voire leur quatrième âge de manière active et même engagée, incitent à envisager ce temps de vie comme un avenir.


L’étude consacrée par notre association à cette problématique de la longévité, sous le titre « Que fait-on de no(u)s vieux ? »,  interpellait déjà en ce sens[3].
Parler de la vieillesse en général n’est plus, en effet, que de la théorie qui ne nous touche pas. Parler de notre propre vieillissement et dès lors de notre vieillesse à tous, si jeunes que nous soyons, c’est là qu’est la réalité d’aujourd’hui.


Il importe donc bien de parler de « notre » vieillissement. En effet, si ce « notre » peut être entendu comme le simple fait que cela parle directement de nous - et ce n’est pas rien déjà -, il souligne aussi que cette vieillesse est “nôtre”, c’est-à-dire qu’elle nous appartient, qu’elle relève donc, partiellement au moins, de notre responsabilité.
Certes, des ennuis de santé peuvent survenir, qui peut-être nous priveront de possibilités physiques ou même mentales dans nos vieux jours. Nous ne pourrons peut-être plus grand-chose par nous-mêmes et devrons accepter de dépendre des autres.


Il n’empêche que, même dans ces cas-là, ce que nous vivrons alors sera fortement influencé par les dispositions que nous aurons prises. En d’autres mots, notre vieillesse sera, en partie tout au moins, ce que nous en aurons fait. Nombre de rêves d’habitat groupé intègrent cette préoccupation.


Une soif d’intergénérationnel ?


Par ailleurs, et l’allongement de la durée de vie n’y est pas étrangère non plus, une aspiration se développe à un milieu de vie beaucoup plus intergénérationnel. C’est évidemment une aspiration bien compréhensible de personnes avancées en âge, mais en bonne santé, en totale autonomie et dans la pleine force … de leur âge. Mais c’est aussi une réaction plus générale à une société qui s’est progressivement stratifiée en tranches d’âge relativement closes sur elles-mêmes. La société de consommation, par le biais notamment du marketing et de la publicité, s’est d’ailleurs fortement appuyée sur ce phénomène, et l’a renforcé de ce fait même.  C’est enfin la possibilité, réservée à quelques-uns il y a peu encore, d’avoir des relations avec des grands-parents et des arrière-grands-parents en bonne forme. Lorsqu’elle est vécue positivement, cette relation peut avoir des accents de bien-être et même d’un bonheur au parfum de merveilleux, qui influence positivement le regard des plus jeunes sur l’ensemble des personnes âgées.


Il est vrai que lorsqu’elle n’est ni trop bruyante, ni trop envahissante, la présence d’enfants et de jeunes est stimulante pour les personnes âgées. Réciproquement, lorsqu’elles sont ouvertes et n’ont pas le caractère de « Tatie Danièle »[4], les personnes âgées peuvent apporter aux enfants et aux jeunes une part de sérénité et de sagesse. De même peuvent-elles les aider à s’ancrer dans une mémoire qui risque de plus en plus de leur faire aujourd’hui défaut.


Des tentatives ont été faites en ce sens, cherchant à insérer harmonieusement des homes et des résidences pour personnes âgées dans des quartiers de construction récente à population plus jeune, ou, comme « Abbey Field[5] », en amenant l’habitat pour personnes d’âge à s’ouvrir sur l’environnement social.


D’autres initiatives sont rêvées, qui voudraient créer des liens plus étroits de solidarité et de partage de projets entre aînés et plus jeunes, au sein d’habitats communautaires qui regrouperaient des entités de logement unifamiliales indépendantes, mais autour d’espaces de service communautaire et d’objectifs partagés par tous.    


Le pragmatisme de l’économie d’échelle


Sans être exclusive des influences du passé ou d’une attention au phénomène de prolongement de la durée de vie, les préoccupations de résistance au coût du logement, toujours plus élevé relativement à l’ensemble des revenus, interviennent dans l’intérêt porté à l’habitat groupé. Ces motivations en effet, qui habitent de jeunes adultes, en couple ou non, ne revêtent pas d’abord une volonté de vie en communauté, mais un souci d’économie d’échelle, essentiellement dans les domaines financiers et environnementaux.


Se loger coûte cher, très cher même dans certaines villes. Nombre d’équipements domestiques, à commencer par la voiture, le sont tout autant.  Ces dépenses ne sont pas seulement lourdes au niveau unifamilial, mais elles le sont également au plan de la société tout entière. Intérêts personnels et soucis du respect de l’environnement se marient alors comme objectif, pour créer des lieux d’habitats regroupés et organisés, voire en habitat de proximité, en vue de rencontrer l’un ou l’autre des objectifs de l’habitat groupé.
Cette approche  toute pragmatique et avec des préoccupations modulées quant aux modes de vie espérés, n’en conduisent pas moins à des rapprochements inattendus pour ceux qui s’y engagent. Même lorsque ce sont les seules préoccupations matérielles qui les ont poussés à ce choix, les préoccupations matérielles communes peuvent conduire à des rapprochements inattendus, comme le seraient des effets collatéraux positifs … ou négatifs. C’est que vivre en relative proximité peut conduire à des enrichissements réciproques dans de nombreux domaines, mais peut aussi entraîner des conflits que personne ne craignait même au départ.


Quelles que soient les motivations et le contexte des personnes et des familles qu’intéressent les démarches d’habitat collectif, elles sont dans la pratique encore relativement rares. C’est de toute évidence une évolution qui fait sens… ou qui s’impose dans les projets. Elle se fonde essentiellement sur un agir en commun qui fait figure d’utopie certes, mais qui peuvent pas à pas nous conduire à une prise en charge plus collective des difficultés et des préoccupations des uns et des autres[6].

 

 


 

[1] (lien)
[2] (lien)
[3] Cette étude est toujours disponible (Lien)
[4] (lien)
[5] (lien)
[6] Analyse rédigée par Jean Hinnekens

 

 

 

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