Analyse 2006/26

Dans tous les pays industrialisés, on constate depuis une vingtaine d’années une augmentation importante du nombre de naissances par césarienne. Les indications médicales n’expliquent qu’une partie de celles-ci. N’assiste-t-on pas à une dérive de la médecine ? Comment ré-humaniser la naissance ?

 


Une augmentation importante du pourcentage de naissances par césariennes


En Belgique, une naissance sur cinq se fait désormais par césarienne [1]. Cette pratique chirurgicale, qui consiste à inciser la paroi utérine, a connu une progression très importante ces dernières années. En France, ce taux est passé de 10,9% en 1981 à 15,9% en 1995, à 18% en 2001 et 20% en 2003 [2]. En Belgique, la proportion de césariennes par nombre de naissances était de 11,5% en 1988 pour 18,5% en 2004, soit une augmentation de 60% [3]. Cette augmentation du nombre de césariennes se retrouve dans tous les pays industrialisés, même si les situations locales sont variables : 30% de césariennes en Italie et en Grèce, 40% au Chili, 25% aux Etats-Unis...


Les indications médicales ne justifient pas l’augmentation


Les indications médicales en faveur des césariennes existent : signes de souffrances fÅ“tales, bassin de la femme trop étroit, bébés trop gros ou en retard de croissance, travail de l’accouchement qui ne progresse pas, hémorragie, etc. Mais ces indications ne justifient pas -loin de là- une telle augmentation. Cette forte augmentation commence à inquiéter les professionnels de la santé, mais aussi un certain nombre de femmes, qui y voient une illustration de la surmédicalisation de la naissance. Selon l’étude intermutualiste belge, cette évolution n’apporte « aucun bénéfice additionnel en terme de mortalité maternelle et infantile ». Au contraire, la césarienne augmenterait les risques de problèmes respiratoires à la naissance et réduirait la fertilité pour des grossesses ultérieures. Lors des 34èmes Journées de Gynécologie et d’Obstétrique à Paris en novembre 2006, un atelier était consacré à la question « Faut-il faire moins de césariennes ? ». Pour le professeur Bernard Blanc, responsable du service de gynécologie obstétrique à l’hôpital de la Conception à Marseille, « le bénéfice attendu sur la réduction de la morbidité et de la mortalité néonatale est faible ». Et le docteur Naiditch, chercheur à l’Irdes, le confirme : « L’obstétrique n’est pas meilleure avec un taux de césariennes important ».


Pourquoi cette augmentation ?


Alors, pourquoi cette augmentation ? Une étude de la Dress (Direction de la recherche de l’évaluation et de la statistique, France) « La pratique des césariennes, évolution et variabilité » [4] met en avant trois types de facteurs. Tout d’abord, l’âge des mamans. Plus la femme est âgée et plus le taux d’accouchements par césarienne augmente : 15% de césariennes à 23 ans, environ 25% à 38 ans. Et les femmes qui ont connu une césarienne pour leur premier accouchement ont également beaucoup plus de « chances » de connaître une césarienne pour les naissances suivantes. Mais cette première explication tenant à l’âge est la seule explication vraiment médicale, qui explique partiellement l’augmentation de nombre de césariennes, puisque les complications liées à l’accouchement augmentent avec l’âge de la maman et que l’âge moyen de la première maternité n’a cessé d’augmenter ces dernières années.


La deuxième explication de cette augmentation est une pratique défensive de la médecine. Face à des risques d’accouchement difficile (anomalie du col de l’utérus, de l’utérus ou du bassin ou présentation du bébé par le siège), les gynécologues ont de plus en plus tendance à recourir systématiquement à la césarienne. D’une part pour éviter les risques de complications lors de l’accouchement (mais on sait que la césarienne comporte elle aussi d’autres risques), mais aussi pour se prémunir d’éventuelles poursuites judiciaires. On sait en effet que les recours aux tribunaux en cas de problèmes médicaux sont de plus en plus fréquents. Son le Docteur Sophie Alexander, gynécologue à l’Ecole de Santé publique de l’ULB : « Les gynécologues sont horriblement vulnérables. 80 à 90% d’entre eux ont au moins un procès sur le dos. Ils veulent donc éviter qu’on puisse leur reprocher de ne pas avoir fait de césarienne » [5].


La troisième explication, moins avouable, est d’ordre nettement moins médical, plus sociologique. Selon le Docteur Alexander, cité plus haut, « Dans notre culture moderne, tout doit être programmé, les gens veulent tout maîtriser. Dire « cela se passera le mois prochain, peut-être pendant la nuit, et cela pourrait durer plusieurs heures » devient difficile. Conséquence, on opte directement pour la césarienne ou on provoque l’accouchement à une date déterminée à l’avance (42% des accouchements sont provoqués en Wallonie). Mais ce recours aux accouchements provoqués augmente également le risque de complications... et donc le recours nécessaire aux césariennes. Mais on peut aussi voir dans cette augmentation du nombre de césariennes une influence des critères économiques de gestion des « plateaux techniques » dans les hôpitaux. La programmation des naissances permet de « rentabiliser » au maximum les infrastructures et d’optimaliser la gestion du temps par les praticiens. Motivation encore moins avouable : certains affirment même que le recours aux césariennes serait favorisé dans certains hôpitaux parce qu’il nécessite une intervention plus technique et donc mieux rémunérée... On assiste alors à une curieuse et dangereuse dérive, puisque c’est le confort des professionnels de la santé qui prend le pas sur le bien-être des patientes et plus encore de l’enfant à naître. Face à cette évolution, certains déplorent que la physiologie soit de plus en plus gommée, qu’on laisse de moins en moins les choses se faire naturellement. Les indications « de confort » sont aussi le fait des patientes, certaines futures mamans ne supportant pas l’incertitude du jour de la naissance, avouant une peur d’accoucher ou une crainte d’être « abîmées ». A ce propos, un récent échange sur un forum internet évoquait cette problématique, entraînant certaines réactions passionnées, opposant d’un côté ceux qui s’indignent de ce recours aux césariennes par pur « confort », et de l’autre des femmes qui s’estiment insultées par de tels propos. Quelques réactions épinglées : « Pour une femme, mieux vaut une bonne césarienne qu’un mauvais accouchement. Les séquelles sont moindres. Parler du désir de ne pas être abîmée comme de quelque chose de convenance est assez insultant. Combien de femmes sont mutilées par des accouchements par voie basse qu’une césarienne aurait évité ? Combien de souffrance et de non dit ? Et même combien de problèmes sexuels, de retrouver sa féminité, de divorces dus aux séquelles ? », « L’absence de douleur justifie à elle seule cet acte médical. Les mecs en parlent à l’aise apparemment... ».


Des coûts plus importants


Selon l’étude intermutualiste, l’augmentation du nombre de césariennes en Belgique comporte une augmentation de coût pour la sécurité sociale comme pour les parents, en fonction du mode de financement qui est le nôtre. L’augmentation du nombre de césariennes par rapport à 1990 représenterait ainsi un coût supplémentaire de plus de 7 millions d’Euros en 2003 et, pour les patientes, de 300 Euros en moyenne par patiente.


Quelle conclusion ?


Il n’existe pas de taux idéal de césariennes par rapport aux naissances « par voie basse ». Cela reste toujours du ressort de l’appréciation du médecin et de la demande de sa patiente. Cependant, l’augmentation constatée ces dernières années a des répercussions sur les soins et sur l’économie des soins de santé. Il est donc important de s’interroger. Différentes études ont été réalisées et des programmes ont été menés en différents lieux de la planète en vue de diminuer le taux de césariennes. Différents facteurs de diminution ont été observés : le recours à un second avis médical, la meilleur information du public, l’accompagnement de la grossesse et du travail, la discussion sur les attentes des futurs parents, etc. On constate que ce sont généralement des facteurs d’humanisation de la pratique médicale qui amènent une diminution du recours à la césarienne. On peut espérer, tant du point de vue des responsables politiques, des praticiens de la médecine que des parents, que ces facteurs humains prendront le pas sur des préoccupations de profit et/ou d’efficacité et de confort. L’augmentation du taux d’intervention de la sécurité sociale pour l’accouchement par voie basse par rapport à la césarienne pourrait également constituer un incitant. En outre, les diverses campagnes et actions de sensibilisation [6] qui visent à réhumaniser la naissance seraient à encourager. On peut faire le pari que les enfants nés dans ces conditions moins « programmées » se développeront dans un environnement plus humain et épanouissant.

 

 


Voir aussi « Césariennes : question, effets, enjeux. Alerte face à la banalisation », Michel Odent, éditions Le Souffle d’Or, 2005.

 

[1] Vers l’Avenir, « Une naissance sur 5 par césarienne », 29/04/2006
[2] Le Monde, « Abuse-t-on des césariennes ? », 21/11/2006
[3] « Recours à la césarienne en Belgique : évolution générale et disparités », Etude de l’Agence intermutualiste, avril 2006
[4] http://www.sante.gouv.fr/drees/etude-resultat/er-pdf/er275.pdf
[5] Vers l’Avenir, 29/04/2006
[6] l’association Alter-Natives agit en ce sens en communauté française

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