Analyse 2006/29

 

Suite à la réflexion menée dans l’étude « Familles et convictions », parue en juin 2006, l’équipe de Couples et Familles a été interpellée par l’organisation de « Toussaint 2006 » à Bruxelles. Quelques éléments de réflexion.


Situons le contexte, pour ceux qui ignorent les tenants de cette initiative. Quatre cardinaux (Vienne, Paris, Lisbonne et Bruxelles) ont pris l’initiative d’une suite de manifestations publiques de grande envergure autour du thème : « Comme réaffirmer la présence catholique dans nos grandes villes ? Comment humaniser celles-ci par la proclamation vraie, mais sans arrogance, de la liberté que procure la Bonne nouvelle de l’Evangile ? ». Et Budapest prend le relais l’an prochain avant que, peut-être, d’autres se lancent dans l’aventure.. C’était donc à Bruxelles que se passaient les manifestations cette année, du 29 octobre au 4 novembre. Pendant une semaine, de nombreuses manifestations grand public (conférences, célébrations, ateliers) étaient organisées, mais il était aussi possible de rencontrer de nombreux acteurs locaux, actifs dans des secteurs très divers, présentant la variété des présences et des engagements de catholiques dans la cité.


L’objectif avoué de visibilité de l’Eglise catholique dans la société (le slogan de la manifestation était « Venez et voyez ») a sans doute été atteint. Ce fut une déferlante de congressistes équipés de sacs, écharpes et colifichets aux couleurs blanche, orange et mauve. 5.000 inscrits aux activités organisées autour de la Basilique (c’est 2.000 de plus que la foule escomptée) et, au total plus de 100.000 personnes touchées dans l’ensemble des manifestations disséminées dans les paroisses. Comme le disait un journaliste d’origine musulmane qui couvrait l’événement : « C’est tout à fait respectable, des congressistes scientifiques équipés d’une même valisette donneraient le même effet de déferlante, sans qu’on y trouve à redire ! » En outre, l’événement a été largement relayé par les différents médias.


Du point de vue des catholiques eux-mêmes, on peut relever un premier aspect positif à ce rassemblement : la reconnaissance mutuelle de groupes divers, aux liens plus ou moins structurés avec l’Eglise, travaillant parfois à quelques mètres les unes des autres, sans savoir qu’elles existent... pratiquant des engagements assez différents l’une de l’autre.


Une présence discrète ?


Mais vis-à-vis de l’extérieur, quelle présence des catholiques (comme des autres courants philosophiques et confessionnels, d’ailleurs) peut-on souhaiter ? Si l’on se réfère au message même de l’Evangile, les catholiques devraient être présents dans la société comme un levain dans la pâte : présence discrète, engagée, évangélique au coeur de la vie des hommes.


Cela a été affirmé dans les grandes conférences (notamment celle de Timothy Radcliffe, ancien maître général des Frères prêcheurs, le mardi 31 octobre), au travers du témoignage de vie de membres de communautés -non belges souvent- engagées aussi sur le terrain de la solidarité. Mais, mieux que dans des discours, l’action concrète devait-elle sans doute plus être visible sur le terrain bruxellois. Heureusement, dans ce créneau, il avait été mis sur pied des tables-rondes qui évoquaient l’engagement des croyants dans des situations de vie très concrètes : le monde du travail et la recherche d’emploi des jeunes allochtones, la présence des croyants dans le monde médical et notamment eu égard à la souffrance, la construction de l’Europe et l’engagement du croyant dans la vie politique. Ces débats ont eu un certain écho... mais ce n’est sans doute pas ce que la masse retiendra.


Un événement qui ne manipule pas


Il y a eu un vrai programme événementiel donnant l’occasion de montrer que le message de l’évangile peut aussi s’annoncer aujourd’hui, par des voies renouvelées : le chant, le théâtre, l’expression corporelle, le cinéma, la Bd... Ils auront été des temps forts du congrès, non seulement dans leur dévoilement final, mais aussi et peut-être surtout dans tout le travail préparatoire qui fut, sans conteste, un temps très dense pour les comédiens, chanteurs et danseurs. Reste la question toujours difficile de l’utilisation de techniques qui soulèvent les foules par le simple effet de groupe : « Jusqu’où va cette mobilisation impulsive et collective ? Ne risque-t-on pas, après un certain temps, le désenchantement qui fait dire : « Oui, mais ce jour-là, il y avait comme une ambiance qui m’a pris... Mais ce n’est pas la vraie vie ! Il faut bien retomber sur terre à un moment ». »


Pour la rencontre de tous ?


On peut aussi espérer que tant de moyens déployés pour manifester la présence de l’Eglise catholique provoque la rencontre de tous : les non croyants et les membres des autres communautés de foi. Ce souhait est incontournable à nos yeux depuis que l’occident n’est plus homogène. Sous la poussée des migrations, il n’est plus envisageable -cela l’a-t-il d’ailleurs jamais été- de faire comme si l’autre n’existait pas. Je dirais même plus : vouloir se présenter à lui, sans arrogance, réclamait une ouverture manifeste. Dans le dialogue inter-religieux, cela réclamait prioritairement de se poser la question : « Qu’est-ce que je suis prêt à taire, voire à abandonner, qui me permette d’entrer en relation vraie avec l’autre sans lui asséner un « hors de ma théologie, point de salut ». Cela valait pour le débat Å“cuménique, pour l’inter-religieux plus large et pour la rencontre avec la laïcité. Il y a eu des ouvertures. La rencontre avec la société civile (Charles Picqué est intervenu deux fois), l’invitation à s’exprimer sous la forme d’un témoignage, de représentants de l’exécutif des musulmans (Hacer Düzgün, vice-présidente de l’exécutif des musulmans de Belgique) et de la grande synagogue (Albert Guiggui, grand rabbin de Bruxelles), la mise sur pied d’expositions autour de la Bible, en collaboration avec des sociétés d’obédience protestantes, etc. Mais si la volonté d’ouverture a été manifeste, on peut sans doute regretter un discours et une attitude qui, de façon permanente, affirmaient la possession d’une plénitude en matière de spiritualité. Et,donc, comprenez... un dia-logue à sens unique : « Si nous avons la plénitude, vous ne pouvez plus rien y ajouter ».


On a en effet entendu réaffirmer sur tous les tons la spécificité ultime de la foi catholique : « Dieu venu dans nos vies à travers la dimension toute particulière de la « présence réelle ». D’où la vénération essentielle des saintes espèces, véritable cheval de bataille pour une nouvelle évangélisation, notamment de la jeunesse. D’où la légitimation, non pas uniquement de temps de prières... mais surtout de temps d’adoration de l’hostie exposée. S’il n’y avait pas lieu de taire la foi catholique à la présence réelle, fallait-il en admettre et même promouvoir la déviance qui consiste à se mettre en adoration devant le pain exposé ? N’était-ce pas ruiner le bénéfice d’années nombreuses de dialogue avec le monde protestant ?


Mais cette attitude unilatérale, « c’est à prendre ou à laisser », on la retrouvait également dans des ateliers consacrés à l’inter-religieux. Le discours prôné par certains porteurs, ou de clergyman ou de tea-shirt « Jésus te sauve », n’avaient d’autre réponse à la question : « Quel salut pour les incroyants ou les tenants des autres religions ? » que : « Jésus est mort pour tous et le crédo nous dit qu’Il est ensuite descendu aux enfers, pour le salut de ceux-là qui s’étaient égarés ». En certains débats, il est clair que l’on a affiché de l’arrogance, non passagère et involontaire, mais fondamentale et ancrée dans une théologie à laquelle certains tiennent fermement.


Dans la ligne de Vatican II ?


Cela fait tout de même plus de 40 ans que le concile est terminé et il y a encore beaucoup à mettre en Å“uvre, de ce qui avait été annoncé. Si le concile Vatican II avait ouvert pour beaucoup de catholiques et même de non croyants un espoir de démocratisation de l’Eglise catholique, on peut s’interroger quand on sait qu’un débat comme « Paroisse et démocratie » n’a attiré que trois personnes, alors qu’elles se pressaient pour écouter représentants de la hiérarchie, les cardinaux, dans leur exercice de conclusion. En effet, on peut se demander où se joue l’avenir de l’Eglise : dans les orientations énoncées par les leaders ou dans la pratique au quotidien des équipes de la base qui, en l’absence de prêtres attitrés, s’organisent pour faire vivre leur communauté chrétienne, en relation fraternelle avec les besoins humains bien concrets des habitants de leur quartier.


La priorité a malheureusement le plus souvent été accordée (par les organisateurs mais aussi par les participants) aux lieux un peu « Barnum » d’une certaine vie religieuse bruxelloise, plutôt que d’expériences plus authentiques et discrètes. La crainte de « reconquista », exprimée par certains journalistes, n’était donc sans doute pas seulement un fantasme.


Quels effets ?


Les catholiques bruxellois (et les autres) qui ont participé aux événements de Toussaint 2006 se sont assurément serré les coudes pour offrir une visibilité de choc. Cela a probablement eu des effets de « réassurance » chez certains. Mais pour les autres, les non catholiques, quel effet aura ce congrès ? La présence chrétienne n’aura-t-elle finalement pas été perçue à travers des attitudes très « Témoins de Jéhova » (c’est un parallélisme qui était facile à faire étant donné les nombreuses évangélisations de rue). Beaucoup en seront restés à cette analyse très consensuelle : « Si c’est bien pour eux, pourquoi pas, du moment qu’on ne me demande pas d’y adhérer ! ». Et pour une part du public, complètement étrangère à cette démarche, on aura le renforcement de son incompréhension. J’ai entendu des commentaires du genre : « Ils sont graves ! M’enfin, ils y croient, c’est sans doute cela qui explique... J’espère en tout cas qu’ils y croient, car sinon, ce sont des malades mentaux ! ».


Pour Couples et Familles, si les catholiques ont à se montrer davantage présents dans la société, c’est plutôt dans les débats pluralistes de tous les jours et dans l’engagement, au côté des autres convictions philosophiques et religieuses, pour l’émancipation des personnes, et en particulier, en ce qui nous concerne, dans les questions relationnelles et familiales.

 


Voir aussi le Dossier "Familles et convictions"

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