Analyse 2008/4

Née en novembre 1908,  comme sÅ“ur Emmanuelle, Françoise Dolto aurait eu 100 ans cette année. A l’occasion de cet anniversaire, il fut beaucoup question de la psychanalyste des enfants. Téléfilms, émissions télévisées, articles et publications ont évoqué l’action et la pensée de cette grande dame du vingtième siècle. Une occasion pour tous ceux qui se préoccupent de l’enfance, parents ou professionnels, de s’arrêter un moment pour confronter leurs réflexions.

 


Qui était Françoise Dolto ?


Un téléfilm (1) diffusé récemment sur nos antennes, avec Josiane Balasko dans le rôle de Françoise Dolto, nous a rendu le personnage plus familier, en l’accompagnant pas à pas dans son action en faveur des enfants. On suit Françoise Dolto dans son quotidien au contact des enfants malmenés par la vie, qu’elle tente de soigner en accordant de l’importance à la moindre de leurs paroles.Née dans une famille bourgeoise, à une époque où la place des femmes était à la maison, Françoise Dolto dut se battre, en particulier contre sa mère, pour faire accepter son projet d’études de médecine. Elle poursuivra ensuite sa formation par une thèse sur « Psychanalyse et Pédiatrie » et travaillera avec Jacques Lacan. Elle fut une des premières à considérer que la psychanalyse pouvait aussi s’appliquer aux enfants. Elle se fit connaître du grand public à la fin des années septante par son émission quotidienne sur France Inter « Lorsque l’enfant paraît ». Elle y répondait aux lettres des auditeurs, ce qui lui permit d’aller plus en profondeur dans ses réponses que dans des émissions en direct.


Indépendamment de son travail thérapeutique et de son impact médiatique, elle fut aussi la créatrice des « Maisons vertes », lieux d’accueil et d’écoute pour les parents accompagnés de leurs jeunes enfants (2). Ces maisons sont des lieux de socialisation des jeunes enfants (de 0 à 4 ans). L’enfant y est accueilli accompagné d’un ou de ses deux parents. L’équipe d’accueil favorise l’expression de chacun. On parle, on joue, on dédramatise. On y apprend aussi les interdits et règles nécessaires à la vie en groupe.


L’enfant est une personne


Fançoise Dolto ne laisse personne indifférent dans le domaine de l’éducation. Elle compte des défenseurs inconditionnels comme des opposants farouches.  On lui attribue l’affirmation célèbre : « L’enfant est une personne », qu’elle n’aurait en fait jamais prononcée. Peu importe. Nul ne contredirait aujourd’hui le fait que l’enfant doive être considéré comme un sujet à part entière. Mais c’était loin d’être le cas à l’époque, où l’on estimait que l’enfant devait être dirigé selon la volonté de ses parents, qu’il était comme une pâte informe qui devait être modelée par ses éducateurs, qui connaissaient le rôle qu’il aurait à jouer dans la société.


Pour soigner les enfants dont elle avait la charge, Françoise Dolto voulut accorder du crédit à leur langage,  qu’il s’exprime en paroles ou qu’il soit non verbal (les silences, les gestes, les attitudes, les dessins, etc.). Parallèlement, elle insistait pour que l’on parle aux enfants comme à des êtres capables de comprendre. Elle fut ainsi à l’origine d’une attitude très nouvelle : accorder de l’importance à l’expression des enfants et leur expliquer les raisons de actes ou décisions qui les concernent, dès leur plus jeune âge, même quand on pense qu’ils ne sont pas encore capables de tout comprendre. C’est depuis que les parents ont pris l’habitude de parler à leurs enfants, depuis la naissance, autrement qu’avec des onomatopées infantilisantes. Cela a certainement contribué à faire progresser la notion du respect de l’enfant dans notre société.


L’enfant roi


Mais au départ de ce nouveau respect de l’enfant, certains reprochent à Françoise Dolto d’être à l’origine de la génération des « enfants rois ». En effet, comprenant mal son message ou l’isolant de son contexte, certains parents ou professionnels de l’enfance ont été bien au-delà de sa pensée et, soucieux de considérer l’enfant comme un sujet à part entière, l’ont considéré comme un adulte, estimant qu’ils n’avaient pas le droit de lui imposer leur propre volonté. De quel droit un parent pourrait-il imposer à un enfant de manger tel aliment, d’aller se coucher à telle heure, de ne pas regarder telle émission télévisée, etc. ? Pourquoi la volonté des parents serait-elle prépondérante quand il s’agit de choisir une activité ou une destination de vacances ? De quel droit en définitive un adulte imposerait-il sa loi à un enfant, profitant ainsi de la « loi du plus fort » ? Dans ce contexte d’après mai 68, avec des parents qui avaient connus une éducation très rigide qu’ils ne voulaient pas imposer à leurs propres enfants, beaucoup d’enfants se sont ainsi retrouvés privés de limites sécurisantes et sont devenus des tyrans.


Vers un nouvel équilibre


Lors du colloque organisé à Bruxelles par la Fondation Françoise Dolto à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Françoise Dolto (3), la volonté de sortir de cette génération de l’enfant roi était très claire. Par le titre déjà : « Aimer à perdre la raison… », pour redire aux éducateurs que l’amour ne doit jamais faire perdre la raison, le bon sens. Mais les intervenants rappelaient aussi quelques règles de base : l’enfant aspire à la liberté, mais il a besoin d’un cadre sécurisant, garanti par la loi des adultes, pour s’y déployer. Le sociologue Bernard Petre faisait ainsi le commentaire d’enquêtes auprès d’enfants sur ce qu’ils attendaient des adultes. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, les enfants n’ont pas le sentiment d’être les rois. Ils se sentent au contraire largement victimes des rythmes des adultes : par les horaires que leur imposent les adultes, par les conditions de logement, les rythmes scolaires, etc. Ils se sentent aussi stigmatisés par des images négatives, entre le jeune fragile et le jeune dangereux. Mais ils disent surtout qu’ils attendent des adultes un cadre cohérent et sécurisant, où les lois sont claires (et ne changent pas d’un jour à l’autre ou selon l’adulte face auquel ils se trouvent) et donc aussi leur espace de liberté et d’autonomie. Ils demandent des limites qui les sécurisent.


Le colloque affirmait aussi la nécessité d’instaurer une alliance éducative entre les différentes personnes qui interviennent vis-à-vis de l’enfant : les parents, les lieux d’accueil comme les crèches, les écoles. Trois tables rondes étaient organisées sur ces différents secteurs. Trop souvent aujourd’hui les différents adultes qui ont une mission éducative ont tendance à se faire l’allié de l’enfant contre un autre intervenant : le parent contre l’enseignant, l’enseignant contre le parent, le parent contre la puéricultrice, etc. C’est peut-être une manière pour eux de chercher à se garantir une relation de connivence avec l’enfant, de chercher à s’attirer sa sympathie, mais éduquer un enfant, ce n’est pas d’abord chercher à se faire aimer de lui, mais l’aider à progresser vers l’âge adulte en se confrontant aux lois, aux limites et aux difficultés de la vie. L’enfant doit être considéré comme une personne à part entière, mais à sa juste place d’enfant.


L’amour et la loi


Pour « Couples et Familles », l’anniversaire de la naissance de Françoise Dolto est une occasion parmi d’autres de susciter la réflexion des parents et des éducateurs au sens large sur leurs attitudes éducatives. Les enfants ont assurément besoin d’amour et de sollicitude. Mais dans une société où les valeurs et les comportements sont très divers et relativisés, ils ont aussi besoin de grandir dans un cadre suffisamment cohérent, où les règles de base de la vie en commun sont garanties par un consensus suffisant entre les adultes qui ont un responsabilité éducative vis-à-vis d’eux. Les échanges entre parents et autres responsables de l’éducation des enfants ne peuvent que favoriser cette plus grande cohérence, pour le plus grand bien des enfants.(4)

 

 



(1)« Françoise Dolto. Le désir de vivre », téléfim réalisé par Serge Le Péron, 2008.
(2)Plusieurs maisons de ce type existent en Belgique. Renseignements auprès de l’association Françoise Dolto, 214 rue du Trône, 1050 Bruxelles, tél 02/731.95.72, fax 02/646.54.56, fdolto@skynet.be, http://www.associationfdolto.be.
(3)Colloque organisé le 6 novembre 2008 dans l’auditorium du Ceria à Bruxelles, sous le titre « Aimer à perdre la raison ».
(4)Analyse réalisée par José Gerard.

 

 

 

 

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