Analyse 2007-11

Des dizaines de sites Internet proposent des tests d’aptitudes intellectuelles en ligne, une flopée d’émissions télés sont consacrées à l’évaluation de votre Q.I., à votre connaissance du code de la route, à vos connaissances de culture générale face à des élèves de primaire, etc. Les tests en général, mais plus spécialement les tests de Q.I. sont plus que jamais populaires. L’engouement auquel nous assistons aujourd’hui appelle aux questionnements et à la réflexion, mais aussi à certains avertissements à destination du grand public.


Le test Q.I.


Lorsque l’on s’informe un peu sur le test de Q.I., on est bien étonné. On lit dans une série de sources d’informations que ce test si populaire est très discuté dans le milieu scientifique et psychologique et qu’on ne sait pas exactement ce qu’il mesure et ce qu’il recouvre [1].


Le test Q.I. est une évaluation intellectuelle et psychologique quantitative, constituée d’une série de questions auxquelles le testé doit répondre en un temps donné. Les réponses au test permettront de définir le quotient intellectuel, qui sera surtout un classement d’un individu par rapport à une population donnée. Il renseignera ainsi sur son écart par rapport à la norme. Ce test est un des résultats d’une impulsion des débuts de la psychologie scientifique et des premiers test mentaux (fin du 19ème et début du 20ème siècle), lorsque de nombreux chercheurs s’intéressaient à la mesure de l’intelligence. C’est aussi à cette époque qu’est apparu le débat -curieusement non encore disparu- sur l’intelligence innée ou acquise.


Limites et critiques


On dit que le Q.I. mesure l’intelligence [2]... Mais qu’est ce-que l’intelligence ? Ce que le test mesure n’est en fait pas l’intelligence à proprement dit, car ce concept est trop difficile à définir, recouvre des aspects trop nombreux et fait appel à des capacités trop diverses (il n’y a toujours pas de consensus autour de la définition même de l’intelligence). Il mesure plutôt l’habileté à effectuer des analyses numériques, géométriques, et des analyses de forme abstraite. Il faut aussi faire attention en ce qui concerne certaines « croyances » : certains s’imaginent que le test du quotient intellectuel ne mesure que des qualités d’intelligences innées. Or ce n’est pas le cas, il faut savoir que l’intelligence d’un enfant ou d’un adulte relève plus de son expérience personnelle que d’un « bagage intellectuel » inné.


Le Q.I. présente de nombreuses limites, dans la mesure où il évalue une certaine idée de l’intelligence. Il ne mesure pas l’ouverture d’esprit, la créativité, la capacité à aller plus loin que le problème pour le placer dans une perspective plus large (qui sont des éléments qui jouent un rôle important dans de nombreux travaux intellectuels). C’est ainsi qu’il ne peut mesurer le potentiel de personnes particulièrement douées, par exemple dans des domaines tels que la culture générale, la psychologie, la mémoire, etc.


Si le Q.I. peut représenter un indicateur et un repère pour les professionnels qui le manipulent, il lui manque trois caractéristiques afin qu’il puisse être un instrument de mesure scientifique à proprement parler. Il ne peut être qu’un indicateur, et non une mesure, car la justesse, la précision et la sensibilité sont mal définis. Il s’agit d’un repère et non d’une valeur brute, d’un indice mais avec une marge d’erreur. De plus, une chose qui est souvent oubliée est que la mesure du Q.I. dépend de nombreux facteurs culturels. La manière de lire et de comprendre une image ou un schéma, la signification de signes, le vocabulaire, les connaissances, etc. sont des éléments qui diffèrent d’une culture à l’autre. Ainsi, un étranger arrivé depuis peu aura beaucoup plus de chances de faire un mauvais score (et d’avoir un Q.I. faible), car il ne maîtrise pas encore les codes et les balises de notre culture.


La méfiance que l’on peut avoir face au Q.I. réside aussi dans le fait qu’il a été parfois instrumentalisé pour appuyer des discours racistes, élitistes ou eugénistes. Il appuie encore aujourd’hui certaines études racistes, qui sous leurs dehors scientifiques, affirment la supériorité intellectuelle d’une ‘race’ sur l’autre, et cela sur base de l’étude des Q.I. Outre le fait que ces discours et ces études ne contiennent pas une interprétation des données comprenant des explications d’ordre socio-culturel, le fait que le Q.I. soit considéré comme une mesure suprême de l’intelligence induit un classement d’individus entre ‘bons’ et ‘mauvais’, entre ‘supérieur’ et ‘inférieur’, et cela est évidemment à condamner...


L’engouement actuel... et excessif


Vu ce qui vient d’être relaté, on comprendra bien les réserves qu’il faut adopter à l’égard du Q.I. Il faut aussi noter qu’il doit être mesuré par un psychologue professionnel, dans le cadre d’un examen psychologique qui demande une réflexion et une analyse et qui ne se contente pas de chiffres établis par le test. Le Q.I. doit être replacé et interprété dans un contexte psychologique global ; seulement dans ce cas, il peut se révéler un outil précieux. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui avec les nombreuses dérives que l’on peut observer !


Le test Q.I. est devenu un produit comme un autre, qui se vend et qui rapporte, aux dépens des consommateurs de psychologie ‘à deux francs’. Il est même « à la mode » et « people » : la presse du même titre inclut désormais le Q.I. parmi les mensurations des stars. Les médias (presse, télévision, Internet) se surpassent pour traiter encore et encore du sujet. Petite anecdote : nous avons testé un de ces sites de tests Q.I. gratuits, disponible en ligne. Quoi que nous répondions, quelles que soient nos réponses aux questions posées, le site nous envoyait un mail avec cette bonne nouvelle : « Vous faites partie de la moyenne supérieure de la population. Félicitations ! ». Méfiance donc...


Les médias sont une chose. Ce que les psychologues observent dans leur cabinet de consultation en est une autre... et nous reflète la manière dont les gens intègrent et vivent cet engouement pour le Q.I. Et ces professionnels tirent la sonnette d’alarme ! Des psychologues français ont lancé un texte-pétition intitulé « Des psychologues s’interrogent sur le Q.I. et certains de ses usages » [3], ils y expriment un certain malaise et une inquiétude.


Claire Meljac, docteur en psychologie, spécialiste en psychopathologie de l’enfance et de l’adolescence [4], a signé cette pétition et n’hésite pas à parler, quand elle observe un afflux de demandes de tests Q.I. par des parents, d’une catastrophe et d’un « commerce de l’intelligence ». « Depuis quelques années (...) les centres de consultation spécialisés pour enfants sont assaillis de demandes de type nouveau que l’on pourrait résumer ainsi : ‘Vite un Q.I.’ » [5]. Suite à un échec scolaire de leurs enfants, de plus en plus de parents se précipitent chez le psychologue pour tester l’intelligence de leur progéniture. Nombre d’entre eux (et c’est un phénomène nouveau) sont d’ailleurs persuadés que leur enfant est surdoué et que cela explique ses difficultés scolaires.


Il faut imaginer que les parents ne comprennent pas le Q.I., qu’ils ne connaissent pas ses limites et les critiques qu’il faut lui attribuer, et qu’il y a de nombreux malentendus à ce propos. Ils peuvent alors le considérer comme une donnée objective, comme le poids ou la taille de leur enfant, alors qu’il ne s’agit que d’un outil et d’un indicateur professionnel.
Plus dure envers les parents, Christine Arbisio, auteur de « Bilan psychologique avec l’enfant » [6] dénonce et se méfie des exigences croissantes qui pèsent sur les enfants : « On parle de l’enfant-roi ? Moi, je vois surtout des enfants surstimulés, priés de gratifier narcissiquement leurs parents. La quête du Q.I. n’est qu’un symptôme de cette société dingue de performances » [7]. C’est d’ailleurs dans cette société de la performance qu’elle observe le recours d’un mouvemement valorisant l’intelligence héréditaire, tout en minimisant l’influence socio-culturelle, qui est fondamentale.


Les professionnels attirent aussi l’attention sur le fait que le marché immense que représentent ces tests peut aussi faire tourner la tête à certains des leurs, qui peuvent entrer dans le jeu de ces tests instantanés : « (...) des psychologues acceptent de faire passer des tests rapides et peu coûteux, quitte à supprimer certaines épreuves qui risqueraient de diminuer la note moyenne que représente le Q.I. » [8].


Certaines raisons de ce phénomène étourdissant qui surgit autours du Q.I. ont déjà été évoquées : il s’agit de ces programmes de télévision, de ces sites Internet, de cette presse people, etc. qui valorise le Q.I. sans en parler et l’expliquer véritablement. Le gros problème, on l’a déjà soulevé, est alors le fait qu’un outil de psychologie professionnel, qui demande beaucoup de réserves et de mises en garde, qui est à manipuler avec soin, est utilisé par des marchands peu scrupuleux et livré au grand public qui ne le comprend pas. Certains vont jusqu’à dire qu’il faut supprimer le Q.I., trop souvent source de dérives et de malentendus, évacuant d’un revers de main l’intelligence que l’on sait multidimensionnelle, ainsi que d’autres qualités et capacités qui méritent reconnaissance [9].

 

 


Pour aller plus loin : « Les tests d’intelligence », de Michel Huteau et Jacques Lantrey, aux Editions La découverte, coll. Repères, 2006.
[1] C’est un des constats de l’ouvrage “L’intelligence de l’enfant : l’empreinte du social” coordonné par Martine Fournier, Editions Sciences Humaines, Coll. Les dossiers de l’éducation., 2007
[2] Voici quelques limites et de nombreuses critiques qui sont émises concernant le test de Q.I. Il existe beaucoup d’autres réflexions scientifiques sur le sujet, nous nous sommes contentés de relater les plus générales.
[3] Consultable sur http://www.wmaker.net/reseaupsycho.fr/index.php ?action=article&numero=570
[4] “Observer et comprendre la pensée de l’enfant avec l’UDN II” de C. Meljac et G. Lemmel, aux Editions Dumod, 2007.
[5] Dans l’article “Q.I. :la grande illusion” d’Annick Cojean, Le Monde du 30 avril 2007.
[6] “Le bilan psychologique avec l’enfant” de Christine Arbisio, aux Editions Dunot, coll. Les outils du psychologue, 2003.
[7] “Q.I. :la grande illusion” d’Annick Cojean, Le Monde du 30 avril 2007
[8] Idem
[9] Analyse rédigée par Marie Gérard, Couples et Familles

 

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