Analyse 2007-05

Guy Blondeel, ancien Juge de la Jeunesse, a côtoyé la souffrance des enfants lorsque leurs parents divorcent de manière conflictuelle. Dans le but d’éviter au maximum cette souffrance, il invite à prendre le temps de se parler, de s’écouter, d’oser faire appel à des tiers en cas de difficultés. Le témoigne de Guy Blondeel et la position de Couples et Familles.


L’expérience d’un Juge


Au fond de mon jardin [1] se trouve un petit sapin qui, par les caprices des uns et des autres, fut plusieurs fois transplanté. La dernière fois il ne reprit plus vie. Mais je continuai à l’arroser . Cela amusait beaucoup mes enfants de me voir donner à boire à un mort. Et puis, un jour, le petit arbre reprit vie. « Viens voir, papa. Il y a des pousses sur ton sapin ! » Oh ! Combien de petits sapins transplantés que seuls pourront sauver des gestes d’espérance !


C’était là le prologue de mon premier livre, « Le Purgatoire du juge », publié il y a 25 ans déjà. Il fallait, à l’époque, que je témoigne de la souffrance de ces enfants turbulents, parfois mini-loubards, que je rencontrais en tant que juge de la jeunesse. Il fallait que je clame haut et fort que l’on n’a pas le droit de punir ces enfants, si on ne les a pas d’abord aimés. A présent, après avoir été confronté pendant cinq ans à la souffrance des enfants lorsque leurs parents se séparent de manière (très) conflictuelle, il fallait que j’apporte un nouveau témoignage. Nous vivons dans une société où le divorce sévit comme un véritable tsunami et où, plus que jamais, l’enfer, c’est les autres, selon l’expression de Sartre. Moi, je dis que les autres, c’est le paradis. En effet, que serais-je, si je n’avais pas les autres pour me dire que j’existe ? Si je n’avais personne à aimer ?


Certes, il nous faut vivre avec ce paradoxe du mariage d’amour : « Si le sentiment seul unit deux êtres, il peut à lui seul aussi les désunir » (Luc Ferry). Et comme la vie est une incessante métamorphose... « Les épreuves ne sont pas le signe qu’il faut clore l’aventure, mais souvent qu’il devient passionnant de la poursuivre » (Christiane Singer). Sachons tenir compte de l’inévitable évolution de chacun et nous remettre en question. « Connais-toi, toi-même », disait déjà Socrate. Respectons. Dialoguons.


Si, malgré tout, l’esquif matrimonial prend l’eau de toutes parts, ne posons pas de jugement moral ; mais ne banalisons pas pour autant. La mort, c’est tout ce qui relève de l’irréversible. « La mort peut être, pour un enfant, le divorce de ses parents » (Luc Ferry). Si donc la séparation devient inéluctable, qu’au moins elle se fasse sans violence. La rupture du couple ne doit pas signifier une diminution du rôle de chacun des parents. Le dialogue et la négociation doivent être privilégiés.


Si cependant la hache de guerre est déterrée, interviennent alors le juge de la jeunesse (s’il n’y a pas de mariage), le juge de paix (pour une séparation « provisoire ») ou le juge des référés (dans le cadre d’une procédure de divorce). Le code judiciaire prévoit que tout enfant capable de discernement doit être entendu à sa demande. Quant au juge de la jeunesse, il devra d’office entendre tout enfant âgé de 12 ans au moins. « L’enfant a surtout besoin d’un interlocuteur qui ne le prenne pas immédiatement au sérieux et qui comprenne le climat affectif d’où émanent ses dires et son agir. Il faut décoder son désir sous ses dires. » (Françoise Dolto) Le juge est-il le plus qualifié pour accomplir cette mission ? Certes, un contact personnel du juge avec l’enfant peut l’aider à comprendre la problématique. Ce contact direct constitue aussi un gain de temps et d’argent. Mais, s’il faut « s’efforcer de connaître l’état d’esprit profond et stable de l’enfant » (Drs Hayez et Kinoo), comment cela peut-il se faire au cours d’une seule et brève rencontre ?


Le juge peut faire procéder à des investigations familiales ou à une expertise (psychologique par exemple). Lorsque le contact a été rompu inopportunément (pour ne pas dire méchamment) par l’une des parties (par exemple, en invoquant faussement des actes de pédophilie, ce qui - hélas !- est fort à la mode depuis l’affaire Dutroux), le juge peut charger un Centre de Rencontres de rétablir les contacts progressivement. Certains Centres ne rédigeront pas de rapport de leur intervention, par souci de discrétion, ce qui pourra compliquer ultérieurement la tâche du juge, devant qui chacune des parties affirmera,la main sur le cÅ“ur, le contraire de ce que dit la partie adverse.


Le temps est généralement le thérapeute le plus sûr. Rétrospectivement, on se rend compte que la souffrance infligée, tant aux parents qu’aux enfants, aurait pour une très large part pu être évitée, si l’on avait pris le temps de se parler, de s’écouter, de faire appel à des tiers.


Eduquer, c’est aimer. Aimer son enfant, c’est lui permettre d’avoir un papa et une maman. Pour toujours.


Un jour j’entendis un père demander à sa fillette : « C’est qui que tu préfères, ton papa ou ta maman ? » Et l’enfant de répondre : « C’est toi que je préfère...et maman aussi...Ce que je veux, c’est vous deux ». Cette dernière phrase est devenue le titre du livre que je publiai récemment aux Editions Bénévent .


Quelles options pour l’avenir ?


Face aux souffrances évoquées par le Juge Guy Blondeel, et en particulier les souffrances des enfants confrontés au divorce de leurs parents, Couples et Familles souhaite soutenir promouvoir des évolutions tant du côté des pouvoirs publics que des parents. Quelle attitude des pouvoirs publics faudrait-il encourager ?

 

  • La première mesure, souhaitée par plusieurs partis, serait la création d’un Tribunal de la Famille, qui regrouperait toutes les compétences en matière familiale au sein tu Tribunal de première instance. Ce tribunal serait compétent pour tous les litiges qui opposent des conjoints, quel que soit le statut de leur union (mariés ou cohabitants), de mesures provisoires pendant la procédure de divorce, concernant par exemple la garde des enfants. Ce tribunal de la famille permettrait d’éviter que les membres d’un couple qui se sépare soient confrontés à un véritable parcours du combattant en raison de l’éclatement des compétences entre le juge de paix, le président du tribunal de première instance et le juge de la jeunesse. Cela permettrait non seulement d’éviter les contradictions et les renvois d’une instance à l’autre, mais aussi d’allonger les procédures, sources le plus souvent d’insécurité et de tensions supplémentaires pour tous les acteurs, sans compter leur coût.
  • Développer et encourager la médiation familiale permettrait également d’éviter l’allongement des procédures. Cela pourrait se faire par la multiplication des espaces-rencontres et le financement d’un médiateur par maison de justice. Mais les pouvoirs publics ne sont pas seuls en cause. Les parents qui se séparent doivent être encouragés à adopter les attitudes les plus constructives possibles pour le bien de leurs enfants.
  • Eviter de mêler leurs enfants à leurs conflits. Lors d’un divorce, ce sont deux adultes qui se séparent. Quelle que soit la souffrance qu’ils vivent, les adultes n’ont pas à faire participer les enfants à leur souffrance.
  • Privilégier dans la procédure les solutions qui soient favorables à l’intérêt de l’enfant, plutôt que d’entrer dans des stratégies qui visent à écraser l’ex-conjoint ou à le faire payer.
  • Expliquer à l’enfant [2], avec le langage adapté à son âge, qu’il n’est pas la cause de la séparation et qu’ils resteront ses parents pour toujours, en essayant qu’il souffre le moins possible de la séparation. L’enfant ne doit pas avoir à choisir entre ses deux parents.


L’amélioration des dispositions législatives et des services proposés aux personnes ainsi que la conscientisation des parents confrontés à un divorce, devraient permettre de ne pas ajouter de la douleur inutile, pour les adultes mais surtout pour les enfants, à la souffrance déjà présente lorsque l’on est confronté à l’échec d’un projet relationnel et familial [3].


Ouvrages de Guy Blondeel :

  • « Le purgatoire du Juge », éditions La pensée universelle, 1982. Prix quinquennal Henri Jaspar décerné par l’ONE .
  • « Ce que je veux, c’est vous deux », éditions Bénévent. Ce livre peut être commandé auprès de l’auteur : Guy Blondeel, 010/45.23.57, 0486/95.14.07 guy.blondeel@scarlet.be )
  • « Mon Aloïsa », éditions Bénévent, 2007.

 

 


[1] la première partie de cette analyse, en italiques, fait écho aux propos tenus par Guy Blondeel, lors du Midi de la Famille organisé par l’échevinat de la Famille de la Commune d’Ixelles, en partenariat avec Couples et Familles et diverses associations
[2] voir à ce propos un site belge consacré à la médiation familiale http://www.mediationfamiliale.be
[3] la deuxième partie de cette analyse, consécutive au témoignage du juge Blondeel, a été rédigée par José Gérard

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants