Analyse 2007-12

La consommation d’alcool a tendance à augmenter chez les jeunes. Comment les familles peuvent-elles réagir à ce phénomène de société ?

 


L’alcool semble être la substance psychotrope la plus banalisée dans notre société. Il n’y a pas d’exception pour les jeunes : beaucoup d’entre eux, de tout âge, de toute classe sociale, boivent de l’alcool lors de fêtes ou de retrouvailles entre copains. Plus accessible que la drogue, plus socialisé, l’alcool est devenu un impératif pour faire la fête. Plus inquiétant : de plus en plus d’adolescents présentent une addiction à ce produit...


Culture de l’alcool et banalisation du produit


L’alcool est une substance psychoactive [1] socialisée et banalisée dans nos sociétés occidentales. L’alcool a toujours fait partie des mÅ“urs et est même assimilé à un certain savoir-vivre. Les modalités de consommation socialisée de l’alcool sont multiples : il pouvait (ou peut) trouver un terrain favorable dans la famille où la dureté du travail justifiait la prise d’alcool (les mineurs, par exemple, avaient recours à l’alcool et y consacraient une bonne partie de leur salaire), les boissons alcoolisées sont considérées comme mondaines dans les couches supérieures de la population, le premier verre lors d’une fête familiale signifie le passage de l’enfance à l’adolescence, etc. Et à cela s’ajoute la banalisation et la normalisation de l’ivresse chez les jeunes eux-mêmes ; le nombre impressionnant de blogs mettant en scène des jeunes ivres peut en témoigner.


Jeunes et alcool


Les jeunes n’échappent pas à la règle de socialisation de l’alcool. Après son premier contact avec la substance en famille (le doigt dans le verre de maman, le premier verre à la communion, etc.), le rapport à l’alcool se construira dans l’univers propre à l’adolescent. Le groupe des copains de l’école, les mouvements de jeunesse, le club de sport, l’enseignement supérieur, etc. prennent alors le relais. Les jeunes donnent plusieurs raisons à leur consommation : ils boivent pour faire comme les autres, pour faire la fête, pour bien rigoler, pour se changer les idées et se détendre ou encore pour être moins timides et dépasser leurs limites. L’alcool est surtout associé, à cet âge, avec la fête qui est favorisée et vue comme positive car elle permet la rencontre sociale. Le problème est que l’on observe de nombreuses dérives par rapport à la consommation d’alcool chez les jeunes : un rajeunissement des consommateurs, l’augmentation du phénomène de « binge drinking » (boire pour boire afin d’atteindre l’ivresse), etc. Si l’alcoolisation pathologique était jusqu’il y a peu réservée exclusivement au monde adulte, le phénomène s’accentue chez les jeunes.


De nombreux thérapeutes sonnent l’alarme à ce propos : le mode de consommation d’alcool qu’ont certains jeunes devient de plus en plus proche des conduites toxicomaniques. La prise d’alcool n’est alors plus une simple conduite ponctuelle mais peut devenir un mode d’existence. La consommation qui pouvait se présenter hier comme conviviale et groupale (la prise de la substance a un effet euphorisant et se fait en groupe, ce qui permet d’être en groupe et d’être membre du groupe) peut devenir autothérapeutique ou toxicomaniaque. Ce passage d’une consommation conviviale à une consommation à risque, pathologique, doit être détecté le plus vite possible avant que l’excès se retourne contre l’adolescent.


L’adolescence et l’excès


Pourquoi l’adolescence rime-t-elle avec ivresse excessive ? Plusieurs raison peuvent être invoquées : d’ordre social, psychologique, éducatif... L’adolescent peut tomber « par hasard » dans l’alcool, en bande, il s’agit alors d’une sorte d’accident de parcours. Une seconde piste est la recherche, dans l’alcool, de bénéfices thérapeutiques répondant aux angoisses existentielles des adolescents. Les adolescents peuvent aussi, par cette prise d’alcool, braver l’interdit, repousser leurs limites afin de voir jusqu’où ils peuvent aller (il s’agit alors ici de performances).


Selon P. Huerre et F. Marthy [2] , l’alcool répond au problème du fonctionnement psychique des adolescents et constitue des aménagements afin de faire face aux difficultés de vie. Sous cet angle, la dépendance vis-à-vis de l’alcool traduit une tentative répétée pour annihiler l’angoisse et éviter la dépression qui sommeille en eux. « Boire est une forme de lutte contre la peur de s’effondrer et permet de mettre de côté les menaces que crée la crise d’adolescence. L’alcool joue un rôle d’amortisseur mais est aussi une entrave au travail psychique, qui permet de faire justement le deuil de tout cela. L’alcool permet à l’ado de survivre à une menace d’effondrement (de sa personnalité, de ses repères...) », nous apprend à ce propos Gaëlle Defeyt [3] .


C’est notamment en travaillant sur les représentations, les croyances et les attentes des jeunes à ce sujet, que l’on peut changer bien des choses. Bien souvent, les effets de l’alcool sont considérés comme bénéfiques (apaisement des angoisses, synonyme de fête, etc.). Ces représentations positives dominent l’idée des risques liés à une consommation excessive. Les adolescents minimisent alors le pouvoir addictif de l’alcool et les difficultés à sortir d’une dépendance ; il faut donc agir sur ce point. De plus, afin de pouvoir prévenir un refuge dans l’excès d’alcool, il faut pouvoir aménager avec l’adolescent un espace où il peut s’exprimer, la puberté étant un moment où la communication est mauvaise, surtout en ce qui concerne le malaise de l’adolescent. Certaines études montrent à ce propos que le milieu familial du jeune alcoolique se caractérise souvent par un déficit de communication.


Un reflet de notre société


Il ne faut pas se contenter de lier le phénomène avec les caractéristiques de la période de l’adolescence et avec ce que vivent nos jeunes. Outre le fait qu’ils évoluent et se développent dans une société où la consommation de l’alcool est banalisée, nous pouvons trouver dans leurs comportements face à cette substance, des substrats de notre société de l’hyperconsommation, de notre société de l’excès, de notre société du « tout-écran », de notre société hédoniste (où seul le plaisir compte), de notre société de confort, de notre société dominée par la publicité, etc.


A ce propos, A-M. Thomazeau [4] reprend plusieurs profils distincts de jeunes buveurs, où l’alcool est une réponse des adolescents à leurs problèmes dans notre société. Il y a tout d’abord les « fêtards » qui jouissent pleinement et consomment à l’excès dans ce but de jouissance, en reflet de notre société hédoniste qui prône le divertissement à tout prix. Ensuite, il y a les « aventuriers » en quête de nouvelles sensations dans ce monde où le confort et l’assouvissement de tous leurs désirs les endorment. Les « timides », quant à eux, recourent à l’alcool pour s’intégrer et créer des liens, dans un environnement où les liens interpersonnels sont menacés par une « société de l’écran » (la communication se fait de plus en plus par l’intermédiaire d’un écran).


Il faut aussi prendre en compte le fait que les jeunes sont une cible des publicitaires et des publicités pour l’alcool. Les stratégies marketing des alcooliers contribuent largement à l’évolution de la consommation chez nos jeunes (l’augmentation de la pratique du « binge drinking », par exemple). La pub alcool est visible partout, tellement présente qu’on ne la remarque même plus (une ligue sportive au nom d’une bière, multiplication de la publicité sur le net et au cinéma, etc.). Ces publicités, auxquelles les jeunes sont très sensibles, transmettent l’idée que la consommation d’alcool va de soi et valorisent la consommation sans la moindre mention des risques associés.


Le secteur des alcooliers et l’Etat qui doit le contrôler ont des responsabilités à prendre, c’est certain. Mais il nous incombe aussi de pouvoir expliquer à nos jeunes toutes ces stratégies publicitaires et commerciales afin de les pousser à avoir un regard critique sur celles-ci. La prise de conscience de la présence omniprésente de la publicité pour l’alcool dans leur environnement (qui agit sur leurs représentations) peut être un premier pas lorsque l’on veut s’attaquer à ce phénomène complexe de l’alcool et des jeunes.


Des solutions concrètes


Pas de fatalisme à avoir, malgré que le problème soit ancré dans un contexte beaucoup plus global et sociétal (et non limité à la sphère des ados ou des jeunes). De nombreuses réflexions et actions fleurissent, et souvent sous l’impulsion ou sous l’organisation de jeunes...


Cette année, la ville de Louvain-la-Neuve, et la fédération de ses étudiants, se sont lancés dans l’encadrement de la consommation d’alcool lors des 24h vélo (haut lieu d’excès). De nombreuses mesures (comme une politique de prix cohérente où les boissons non alcoolisées sont vendues moins cher que la bière, par exemple) ont permis que l’édition 2007 se déroule sans problèmes majeurs liés à l’abus d’alcool.


Nous pouvons aussi penser aux Responsible Young Driver, association de jeunes pour les jeunes, voulant sensibiliser et agir sur le comportement des jeunes au volant (et donc sur l’alcool au volant). De nombreuses actions (comme celle du rapatriement lors du Nouvel An) visent à responsabiliser et à conscientiser les jeunes face à leur consommation d’alcool.
La Ville de Namur a également voulu lutter contre l’abus d’alcool chez les jeunes lors de ses fêtes de Wallonie en septembre 2007 (de nombreux comas éthiliques d’adolescents sont à déplorer chaque année). Elle s’est surtout attelée à lutter contre la consommation abusive de pèkèt (alcool de grains), en limitant les autorisations de vente d’alcool en rue durant les fêtes. Face au grand nombre d’adolescents qui traînent (et consomment souvent des boissons alcoolisées) sur les places ou dans les parcs de la ville après les sessions d’examens, la Ville avait aussi voulu prendre un arrêté interdisant la consommation d’alcool sur la voie publique (en dehors des terrasses de café), mais la mesure a été annulée par la Région wallonne, parce que disproportionnée à son objectif. Cela montre à quel point la recherche de solutions se heurte parfois à des difficultés de tous ordres. La plupart des villes sont confrontées à des problèmes similaires et prennent différentes mesures pour tenter d’en limiter les effets néfastes : interdiction des "happy hours" (ventes d’alcool à prix réduit pendant une durée limitée) et des "open bars" (boissons à volonté pour un prix forfaitaire, interdiction de la vente d’alcool dans les épiceries ou des magasins de nuit après 20 heures [5] , etc.


En conclusion


Pour Couples et Familles, la prévention de l’addiction des jeunes à l’alcool ne peut se concevoir que de manière globale.

En famille :

  • en favorisant une bonne communication et en étant particulièrement attentif à l’évolution des enfants lors de l’adolescence ;
  • en incitant à un esprit critique face aux publicités pour les boissons alcoolisées [6] , par exemple à la télévision ;
  • en étant attentif à la place des boissons alcoolisées dans le mode de vie familial, en particulier en évitant de banaliser la consommation excessive.

En société : 

  • par des mesures visant à informer sur les dangers de l’alcool (comme cela est aujourd’hui obligatoire pour le tabac) ;
  • en renforçant le contrôle de l’interdiction de vente d’alcool à des mineurs [7] .

 

 


[1] Les substances psychoactives (alcool, tabac, cannabis, etc.) sont des substances qui modifient l’activité mentale, les sensations et le comportement (elles provoquent des effets somatiques d’une grande diversité). L’usage de ces substances engendre très souvent une dépendance.
[2] « Alcool et adolescence. Jeunes en quête d’ivresse », de P. Huerre et F. Marty, aux Editions Albin Michel, 2007.
[3] Gaëlle Defeyt, « Les comportements à risque des jeunes, dans le contexte sociétal et médiatique actuel », mémoire de fin d’études pour l’obtention du titre de licencié en communication appliquée à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales, 2007
[4] « L’alcool, un drôle d’ami », de A-M. Thomazeau aux Editions De la Martinière Jeunesse, coll. Hydrogène, 2002.
[5] voir à ce propos l’article "Les pouvoirs publics cherchent à endiguer les violences liées à l’alcool", in Le Monde du 5/11/2007
[6] voir à ce propos la brochure « Les publicitaires savent pourquoi. Les jeunes, cible des publicités pour l’alcool », Media Animation, 2006.
[7] analyse réalisée par Marie Gérard, Couples et Familles

 

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