Analyse 2007-28

 

Vitamines ou amphétamines, certains étudiants ont recours à des substances dopantes pour supporter le stress et améliorer leurs facultés avant les examens. Or, l’efficacité de la prise de ce type de produits n’a jamais été prouvée scientifiquement et, au contraire, ils ne sont pas sans danger. Cette consommation alarmante questionne la manière dont les jeunes appréhendent leurs études...


Des enquêtes « stupéfiantes »


Concernant le recours des étudiants aux médicaments et aux substances dopantes, plusieurs études prouvent qu’ils sont très (et trop) nombreux à se tourner vers ces produits. Une enquête réalisée à l’Université et à la Haute école des Arts de Gand, sondant plus de 3000 étudiants sur leur consommation de drogues ou de médicaments a apporté des résultats stupéfiants : 80% des étudiants interrogés prennent des médicaments pendant la période d’examens [1]. Plus particulièrement, l’enquête révèle que la moitié des étudiants se procurent des médicaments via leurs parents, 30% se les procurent chez le pharmacien et 15% par des amis. Cet élément est très important car cela montre que le médecin généraliste n’intervient généralement pas dans cette gestion de la période de bloque et dans la prise de médicaments. Autre chose encore, on remarque aussi que les calmants et les somnifères ont plus de succès chez les jeunes femmes, tandis que ce sont les stimulants que les jeunes hommes recherchent. L’Université Libre de Bruxelles (comme beaucoup d’autres universités belges d’ailleurs) s’est aussi attelée à étudier le comportement de ses étudiants dans le domaine de la santé. Selon Jean-Pierre Bastin, responsable du service médical, ce qui est le plus marquant est le taux de dépressivité auprès des jeunes. Cette tendance à la dépression pourrait donc expliquer cette prise de médicament pour se « booster », pour se motiver. « Par ailleurs, dit-il, on s’oriente vers une frange de la population estudiantine que l’on peut qualifier de polytoxicomane. Leur mal-être génère à son tour des dépendances avec l’alcool, le tabac ou des drogues... » [2] . Cependant, l’enquête tenait aussi à souligner que l’usage d’anxiolytiques (tranquillisants) et des hypnotiques (somnifères) restait marginale dans la population étudiante. Il est connu que les jeunes dans le milieu scolaire et étudiant ont tendance à expérimenter et ensuite à développer des dépendances à certains produits. On savait qu’il s’agissait de tabac, d’alcool et même de cannabis. Par exemple, la consommation de tabac reste une question préoccupante : selon l’enquête de l’ULB, un tiers de la population étudiante fume quotidiennement (mais l’aspect positif sur ce point est que 75% d’entre eux désirent mettre fin à cette consommation). Mais on ne s’imaginait peut-être pas qu’une consommation de médicaments pouvait s’immiscer dans ces produits que l’on connaît bien (ou mieux).


Plusieurs pistes peuvent être avancées pour expliquer cette consommation. Elles permettront de mieux cibler les raisons pour lesquelles les étudiants ont recours à ces substances, et ainsi de mettre en place des réflexions et des actions pour éviter les consommations problématiques (dépendantes par exemple). Tout d’abord, on constate que les étudiants sont très fatigués, stressés et angoissés. C’est en tout cas les malaises auxquels ils sont le plus sujets. Mais aussi, comme le disait Jean-Pierre Bastin, ils ne sont pas à l’abri de la dépression. Si cette maladie est plus souvent associée au monde des adultes [3] , elle touche aussi les milieux étudiants. Ensuite, une autre raison de ce recours peut être le fait que l’usage des médicaments et même des psychotropes [4] soit banalisé. Cette banalisation qui participe au fait que, face à un mal-être (physique ou moral), la prise instantanée d’un médicament est devenu un geste normal, s’étend à toutes les franges de la population. Cela aussi donc chez les parents, qui peuvent transmettre ces (mauvaises) habitudes à leurs enfants. Certains observateurs relatent d’ailleurs que globalement, face à des situations stressantes ou des coups durs, les étudiants pencheraient plutôt pour les médicaments que pour les consultations auprès d’un psy. Les périodes de bloque et d’examens sont aussi des périodes très éprouvantes pour les jeunes : ils doivent se donner à fond, repousser leur limites et rester concentrés de longues périodes. Les médicaments peuvent donc se constituer comme soutien pour cette période. Et puis, les parents n’ont souvent pas les moyens ni le temps pour aider et soutenir leurs enfants pendant ces périodes difficiles : ils peuvent devenir une aide facile pour ces parents démunis ou débordés. Une dernière explication est que de plus en plus de jeunes travaillent à côté de leurs études (certains car ils n’ont pas les moyens financiers suffisant pour les payer, d’autres pour s’assurer un meilleur train de vie) : les médicaments et les psychotropes les aident donc à tenir le coup.


La santé, facteur de réussite


Sans surprise, on apprend que les effets néfastes du recours à ce type de produits sont multiples et non sans conséquences. La prise de médicaments dans ce contexte ne participe pas et bien au contraire, à appliquer le célèbre adage « un esprit sain dans un corps sain ». Tout d’abord, il faut se rendre compte que les produits miracles n’existent pas. Et que si le recours ponctuel à un petit coup de pouce peut dépanner certains, l’usage systématique de « dopants de cerveau » n’est certainement pas la meilleure garantie de réussite des examens. Bien plus grave encore, l’usage de certains produits (sans suivi médical, par exemple) peut s’avérer dangereux et compromettre le résultat final de l’étudiant. Certains produits peuvent ainsi provoquer des troubles de l’attention, des trous de mémoire, une tendance à la déprime, etc. D’autres problèmes se posent aussi au niveau de la santé psychique de l’étudiant : si les médicaments vont lui permettrent de regonfler momentanément une certaine confiance en soi, de favoriser un mieux-être car il ne se sentira plus seul devant ce qu’il doit accomplir, cela n’arrangera en rien les choses. Car les problèmes qui sont à la base de ce mal-être ne seront pas résolus (chose indispensable pour entamer une vie d’adulte, professionnelle et même sentimentale), mais aussi car cela peut favoriser la dépendance. Si l’étudiant ne se sent capable de faire les choses et d’agir que lorsqu’il a pris ces substances, il y a un très grand risque qu’il développe une dépendance à ces produits. Une consommation qui se voulait à la base un simple coup de pouce pourra devenir problématique.


Structures d’aide, d’accueil et d’écoute


Compte tenu de tout ce qui a été dit, certaines pistes d’actions et de réflexions nous paraissent cohérentes vis-à-vis de la problématique. Même si les jeunes étudiants sont proches de l’âge adulte (ils ont d’ailleurs leur majorité), les parents ont encore un rôle à jouer à ce moment là, ne serait-ce qu’en évitant de fournir sans plus de discusssion des substances médicamenteuses à leurs enfants. Il semble qu’il faille aussi (re)donner une place au médecin généraliste : il peut être un interlocuteur privilégié pour les parents mais aussi pour le jeune, afin d’accompagner, d’informer, de surveiller la consommation et ainsi d’éviter l’automédication. Il faut aussi penser au rôle que peuvent jouer les pharmaciens car, comme le montrait l’étude de l’Université et de la Haute école des Arts de Gand, le pharmacien est souvent le seul intermédiaire (puisque les jeunes ne vont pas chez le médecin pour se procurer les substances en question). Il faut aussi mieux réglementer ce marché qui est juteux et qui prolifère (les produits sont nombreux et diversifiés ; gouttes pour l’attention, cachets pour la mémoire, gelules pour le stress, etc.) et mieux informer les individus sur les produits. Enfin, il faut renforcer au sein des universités, des hautes écoles, etc. les structures d’accueil et d’écoute pour que les jeunes puissent trouver un appui concret. Par rapport à ces structures, Jean-Pierre Bastin proposait un système d’entretiens avec les étudiants : « L’idée d’un entretien-examen obligatoire pourrait être fort utile. J’insiste sur la notion d’entretien : il s’agit de faire le point avec le jeune et, via des tests scientifiques calculant l’état d’anxiété et l’état dépressif, de voir dans quelle mesure il ne faut pas l’orienter vers tel ou tel service psychosocial » [5] . Par exemple, en ce qui concerne l’état dépressif, comme la grande majorité des jeunes souffrant de cette maladie n’en ont pas conscience, il est important d’identifier les principaux signes avant-coureurs [6] de la maladie. L’école (ou l’université) devient alors une sorte de relais entre l’étudiant et les services généraux de soins de santé [7] .

 



[1] « Les étudiants drogués », article du Guide Social du 11/12/2007, www.guidesocial.be
[2] « A votre santé », article d’Alain Dauchot, dans Esprit Libre (n°13), Mai 2003.
[3] Ce n’est que dans les années 70 que les professionnels de la santé mentale reconnaissent que les jeunes peuvent souffrir de dépression.
[4] Pour une explication de ce que sont les psychotropes, voir l’analyse « La (sur)consommation de médicaments et de psychotropes chez les personnes âgées ».
[5] « A votre santé », article d’Alain Dauchot, dans Esprit Libre (n°13), Mai 2003.
[6] Le comportement d’un enfant ou d’un jeune déprimé n’est pas le même que celui d’un adulte. Il faut donc rester aux aguets des signes précurseurs. Parmi ceux-ci, il y a les symptômes visibles suivants (pour le jeune dépressif) : l’irritabilité excessive, la tristesse permanente, les troubles de l’appétit et du sommeil, la perte de l’intérêt et de l’attention, la dévalorisation de soi exagérée, etc.
[7] Analyse réalisée par Marie Gérard, Couples et Familles

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