Analyse 2007-29

L’émergence de la notion de genre a côté de celle de sexe n’est pas qu’une question de vocabulaire ou de mode. Elle marque une véritable révolution dans la manière de concevoir la place des hommes et des femmes dans la société. C’est sans doute la raison pour laquelle certains milieux sont toujours très réticents à utiliser la cette distinction.


Peut-on encore parler de « sexes » ?

Il est aujourd’hui entré dans notre vocabulaire de parler de « genre » plutôt que de « sexe », au point de ne plus trop savoir si le terme de « sexe » n’est pas devenu « politiquement incorrect ». L’Organisation Mondiale de la Santé - OMS - s’explique ainsi à ce propos :

 

« Il est parfois difficile de comprendre exactement ce que l’on entend par le terme « genre » et comment ce terme se différencie de celui de « sexe » qui lui est étroitement lié.

 

Le mot « sexe » se réfère davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes.

 

Le mot « genre » sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. »

 

La distinction n’est pas inutile et encore moins innocente : le rôle du « sexe » dans l’histoire de l’humanité a été la source de multiples comportements qui ont figé peu à peu la femme et l’homme dans des moules qui les ont socialement séparés : les « genres ». Les efforts effectués pour qu’ils éclatent et se débarrassent des inégalités qui les caractérisent sont loin encore de pouvoir se relâcher.

Une longue histoire

La différence sexuelle entre la femme et l’homme au sein de l’histoire de l’humanité est aussi vieille que ne l’est celle-ci. Cette lapalissade d’hier n’en est une qu’en apparence dans les perceptions d’aujourd’hui. Elle l’est certes toujours sur le plan de la « différence des sexes », mais elle occultait une réalité moins immuable. En effet, elle ne l’était absolument pas sur le plan du « genre », même si l’histoire des genres est intimement liée à celles des connaissances et des ignorances en matière de sexualité et de fécondité.

 

Sexualité et fécondité, deux concepts aujourd’hui bien distincts dans nos langages comme dans nos comportements, étaient jusqu’il y a fort peu en effet une seule et même chose dans la perception la plus communément admise, comme elle l’est dans pas mal de présupposés de type moral aujourd’hui encore.

 

La femme a-t-elle été la référence absolue des organisations humaines aux temps les plus primitifs, lorsque l’humain ignorait tout de la transmission de la vie ? C’est d’elle que naissaient les enfants, survie des groupes humains. Elle était un mystère de sang et de surgissement de la vie, sans que le mâle ait à y voir, ou tout au moins sans que quelqu’un sache que le mâle avait à y voir. Peut-être fut-il un premier temps en effet où la sexualité s’est trouvée sans liens entre elle et la fécondité, sans liens connus tout au moins.

 

Si cela fut un jour, cela ne dura pas. Nous n’avons, semble-t-il, aucun indice suffisamment probant d’une organisation sociale basée exclusivement sur une telle ignorance. Des traces éventuelles tout au plus, comme les déesses-mères de la préhistoire, ou les structures matriarcales de certaines sociétés primitives, ou encore, peut-être, le second récit de la création dans la Bible, si l’on considère que le rêve que suggère le serpent à Ève est celui de la possession du phallus, signe de domination sexuelle, et que la naissance de son premier enfant, Caïn, était à ses yeux, comme à celui de son compagnon mâle, son acquisition faite avec le dieu [1] .

 

Dès que l’humain a cru comprendre que les origines biologiques de la vie résidaient dans la seule insémination par l’homme - et ce fut donc peut-être de tous temps -, celui-ci fut confirmé en cela par la supériorité de sa puissance physique comme de celle de la plupart de ses congénères, perception vraisemblablement partagée par la toute grande majorité des femmes. Les sociétés se structurèrent dès lors en patriarcat. Dès lors, la sexualité y est liée indissolublement à la fécondité, et l’histoire d’Onan dans la Bible, illustre ce lien [2] de manière signifiante. Ce n’est pas le « sexe » qui avait pris possession des mentalités, quelle que soit l’importance de la violence, de l’érotisme, du plaisir partagé ou de la tendresse qu’il ait pu y générer, mais bien le « genre ». L’identité de chaque humain lui en fut désormais donnée dès sa naissance et, du fait même, sa place dans les structures sociales.

L’irruption du féminisme

Est-ce la découverte progressive - interrogations et hypothèses d’abord, certitudes biologiques ensuite - de ce que la conception humaine trouvait à part égale sa source de spermatozoïdes masculins et d’ovocytes féminins qui donna naissance au féminisme ? Cette lecture de son histoire n’est pas invraisemblable. Quoi qu’il en soit, depuis la Renaissance, et plus encore à partir du XVIIIe siècle, il a peu à peu transformé les mentalités et modifié profondément la perception de la place relative de l’homme et de la femme dans tous les domaines, dans les sociétés occidentales tout au moins, comme dans les références juridiques universelles, comme celle de la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme »,

 

Dans les tâtonnements de ses revendications et de ses analyses, il est arrivé au féminisme de se fourvoyer, lui aussi, du fait des liens réputés indissociables entre la sexualité et la fécondité, ou plutôt, entre cette dernière et les situations de genre que le fait biologique de la maternité avait intégrées dans les structures de la société. Il fallait être deux pour concevoir un humain, mais de façon inégalitaire. C’est ainsi que certaines féministes en arrivèrent à rejeter l’idée même de devenir mère.

 

Les choses ont bien changé. C’est ainsi qu’à l’occasion de la publication de ses mémoires sous le titre de « Repenser la maternité », Yvonne Knibiehler, professeur émérite de l’université de Provence et grande figure du féminisme, âgée de 84 ans, affirmait lors d’une interview donnée au journal « Le Monde » et publiée le 9 février dernier : « Le féminisme a fait fausse route en décidant d’ignorer la maternité ».

 

Elle affirme dans son ouvrage que : « Le féminisme doit repenser la maternité : tout le reste lui sera donné par surcroît. Je n’ai pas trouvé beau d’être enceinte ni d’accoucher, précise-t-elle. Ce que j’ai trouvé est en revanche miraculeux, c’est la rencontre avec ce petit être qui, dès les premières heures de sa vie, exprime combien il est humain ». Et d’ajouter « C’est en cela que j’ai été longtemps en désaccord avec Simone de Beauvoir, pour qui la maternité était « un obstacle à la vocation humaine de transcendance ».

 

Toutefois, elle affirmait par ailleurs dans un article publié en décembre 2004 sur le site de l’Association des cafés géographiques : « La fonction maternelle n’a plus rien de « naturel », elle est définie par des normes selon les besoins d’une société donnée à une époque donnée, mais ça n’empêche pas que ça demeure pour chaque femme une affaire personnelle inscrite au plus intime de sa vie privée. Les dimensions sociale et individuelle s’articulent plus ou moins bien selon les milieux et les périodes, elles s’articulent actuellement plutôt mal. Après trente ans de féminisme, la maternité est un facteur majeur d’inégalités, entre les sexes et entre les femmes. 80% des femmes souhaitent être mère, elles limitent leurs ambitions professionnelles ou politiques pour faire face à leurs obligations maternelles ».

Le concept de genre, une clé de lecture pour une pleine mixité

Voilà donc, suivant la distinction introduite entre sexe et genre, une tension, voire un conflit à résoudre, non pas entre la sexualité et le genre, mais entre la fécondité, qui n’est qu’un aspect de la sexualité, et le genre, soit l’organisation sociale qui place les femmes et les hommes, mais aussi les femmes entre elles, dans des conditions différentes et inégalitaires, du fait qu’elle n’a pas évolué pour en tenir compte.

 

Que le sexe soit découplé de ses liens de risques intrinsèques de fécondité, qui oserait aujourd’hui le nier. Quand il est vécu dans le respect réciproque et à plus forte raison dans l’amour, il est, et il sera de plus en plus considéré comme une fonction de relation : tendresse et plaisir partagé. Il a perdu et perd de ce fait ses implications de genre qui lui étaient assignées du fait de la fécondité qui lui était indissociablement liée. Bien difficile de prévoir ce qu’elle entraînera comme dérives ou comme chances nouvelles pour les relations entre les femmes et les hommes.

 

Par contre, la fécondité et la fonction physiologique et biologique maternelle de la femme est à repenser en effet, dans toutes les questions d’organisation sociale, si l’on veut effectivement ouvrir à la femme la plénitude de sa participation à la vie sociale et relationnelle, et à l’homme, son plein épanouissement dans les sphères conjugales, familiales et éducatives.

 

Cette évolution commence précisément par une mentalité générale et volontariste de parenté responsable. Dès le milieu des années 50, « Couples et Familles », dans les « Feuilles Familiales », plaidait et tentait d’apporter, dans cet esprit, sa contribution d’éducation permanente aux couples.

 

Elle suppose aussi une nouvelle approche de genre dans la gestion des rôles parentaux et familiaux. Là encore, et dès sa constitution fin des années 30, notre association a plaidé :

  •    pour de nouvelles attitudes masculines de participation aux tâches ménagères et d’éducation ;
  •    pour une nouvelle approche éducative, des garçons surtout, afin de les ouvrir à une conception nouvelle de leur rôle au sein du couple et de la famille.

De nouveaux pères ont surgi de cette perception nouvelle de genre au sein de la cellule familiale, émergence de nouvelles générations de parentés. Mais une telle révolution dans le vécu des familles n’est-elle pas encore l’exception ?

 

La société a bougé un peu, elle aussi. Allocations familiales, crèches et gardes à domicile, jardins d’enfant, garderies, congés parentaux, ... : autant d’évolutions et d’initiatives pour réduire au maximum l’impact de la maternité sur l’insertion sociale et professionnelle des femmes.

 

Nous y sommes néanmoins plus loin du compte encore que dans la sphère familiale. En effet, les dispositions qui sont prises ne sont que rarement issues d’une volonté d’en arriver - même progressivement, car l’organisation sociale et professionnelle ne se saurait être repensée et refondue du jour au lendemain -, à une situation vraiment inédite, parce qu’appelée à matérialiser une relation, inédite elle aussi, entre la femme et l’homme au sein de la société. Â ce jour, ces dispositions ne sont le plus souvent que des « aménagements » introduits pour assouplir les structures et les schémas de penser d’un monde patriarcal, sans que celui-ci ne s’en trouve vraiment mis en cause.

 

Le monde militant des femmes l’a bien senti en introduisant le concept de « genre ». La prise en compte de celui-ci au plan international est un fait majeur. Sa portée concrète ne le sera toutefois que dans la mesure où toute évaluation, de situation et de résultats, comme de tout projet d’organisation, de production et de développement, prendra en considération, dans ses critères d’examen, les retombées en terme de « genre », dans tous les arcanes de la société, de la vie des couples et des familles à la gouvernance de l’État, en passant par le monde de l’éducation et celui de l’organisation des entreprises.

 

« Couples et Familles » a entrepris de contribuer à l’émergence d’une telle révolution depuis des années déjà, par conviction et par intuition. Elle n’en prendra que plus d’attention encore, dans sa volonté de développer, par l’éducation permanente, une mentalité qui puisse faire advenir un monde plus humain, parce que s’appuyant de façon équilibrée et égalitaire sur les deux composantes dont elle est pétrie : le féminin et le masculin, toutes les femmes et tous les hommes, dans la plénitude de leurs capacités et de leurs compétences, dans la plénitude de leur être [3] .

 


[1] Voir à ce propos l’analyse « De la Genèse à l’haptonomie : un grand écart signifiant ? ».

 [2] Second fils de Juda, Onan, marié à Tamar, refuse ce lien et il en meurt. C’est de ce passage que le terme d’onanisme tire étymologiquement son origine - Gn 38, 8 à 10 : « Et Juda dit à Onan : « Va vers la femme de ton frère, remplis envers elle le devoir de beau-frère ordonné par le lévirat, et suscite de la semence à ton frère ». Cependant Onan savait que la postérité ne serait pas sienne et, chaque fois qu’il s’unissait à la femme de son frère, il laissait perdre à terre sa semence pour ne pas donner une postérité à son frère. Et ce qu’il faisait fut mauvais aux yeux de l’Éternel, et il le fit mourir ».

 [3] Analyse réalisée par Jean Hinnekens

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants