Analyse 2007-16

Aux Etats-Unis comme dans les pays musulmans, certains courants contestent la théorie de l’évolution de Darwin au nom de la Bible. Depuis peu, on assiste à des campagnes créationnistes en Europe. Les enfants et les jeunes sont-ils en danger ? Qu’en penser et comment réagir ?


Jusqu’il y a quelques années, il aurait paru saugrenu à la plupart de nos contemporains européens de contester la théorie de l’évolution des espèces au nom de la Bible. Même les personnes très religieuses et respectueuses des textes sacrés ont appris depuis longtemps à ne pas prendre les récits bibliques au pied de la lettre. Il y a quelques années, les premières interpellations sont apparues au sein de notre association : des enseignants (professeurs de sciences ou de religion) se faisaient interpeller par des élèves issus de l’Islam et qui faisaient état de thèses créationnistes et étaient fort étonnés de ces réactions. Plus récemment encore, de luxueux atlas de la création ont été envoyés gratuitement à de nombreuses universités, écoles ou bibliothèques. Ils ont pour but de démontrer l’ineptie des thèses évolutionnistes. Et l’on parle ici et là d’enseignants qui commencent à défendre les mêmes thèses.


D’où viennent ces courants créationnistes ?


Jacques Arnould, dominicain français qui a publié récemment « Dieu versus Darwin ? Les créationnistes vont-ils triompher de la science ? », est un spécialiste de ces courants créationnistes. Il donnait récemment une conférence sur ce thème [1] à l’invitation d’un groupe local de formation philosophique et théologique, préoccupé par l’influence de ces courants auprès des jeunes. Ce dominicain, qui est à la fois scientifique et théologien, évoque l’offensive du créationnisme, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe et les objections de plus en plus fréquentes d’étudiants face à l’enseignement de la théorie de l’évolution sous l’effet de ce courant de pensée. Historiquement, une première organisation créationniste se serait structurée vers 1935 [2] aux Etats-Unis en milieu protestant. Il s’agit d’un fondamentalisme biblique reposant sur une lecture non seulement littérale de l’Ecriture, mais qui nie aussi la participation humaine à la rédaction de ces textes sacrés. Après cette première phase à ancrage religieux, le courant créationniste prit des allures scientifiques dans les années 1970. Des actions juridiques furent intentées par les créationnistes aux Etats-Unis, qui aboutirent par exemple à la suppression de la référence à la théorie darwinienne dans l’Etat du Kansas en 2000 ou à l’obligation d’enseigner parallèlement la théorie du « dessein intelligent » dans d’autres Etats.


L’Eglise catholique est restée très longtemps méfiante à l’égard de la théorie de l’évolution, même si elle ne l’a jamais officiellement condamnée. Elle a cependant refusé son imprimatur au jésuite paléontologue Pierre Teilhard de Chardin qui, dans les années 50, avait étudié le lien entre spiritualité et évolution. Il a fallu attendre 1996 pour que la pape Jean-Paul II reconnaisse que les théories de Darwin sont « plus qu’une hypothèse ».


L’affaire de l’Atlas de la création envoyé aux écoles


Au sein de l’Islam, le créationnisme est né dans les années 80, en même temps que la montée de l’intégrisme. En Europe, ce sont surtout les milieux islamiques qui sont à l’origine de la campagne. Début 2007, de nombreuses écoles en Belgique (après la France et avant d’autres pays européens) ont reçu « L’Atlas de la création », un ouvrage qui réfute la théorie de l’évolution des espèces. Un bel ouvrage de 800 pages, richement illustré, papier glacé et illustrations en quadrichromie à toutes les pages. L’auteur, Adnan Oktar, qui écrit sous le pseudonyme de Harun Yahya, est un Turc de 50 ans qui, au nom du Coran, tente de réfuter la théorie de l’évolution des espèces. Pour argumenter ses thèses créationnistes, il propose des doubles pages mettant face à face, d’une part des photos d’animaux ou de plantes, et d’autre par des fossiles vieux de plusieurs millions d’années, plus ou moins semblables à l’être vivant actuel. Conclusion : les espèces -et donc l’espèce humaine- sont inchangées au cours de plusieurs millions d’années ! Si ces démonstrations peuvent paraître grossières dans un milieu scientifique, elles sont susceptibles d’influencer un public non averti. Le luxe de l’ouvrage et son aspect professionnel renforcent d’ailleurs auprès du public non averti son caractère sérieux. Marie Arena, la ministre de l’enseignement en communauté française a donc réagi [3] rapidement en appelant à la vigilance des directions afin que cet ouvrage ne soit pas mis à disposition des élèves comme outil pédagogique. En France, le ministère de l’Education Nationale avait réagi de la même manière début février 2007, en demandant aux recteurs d’académies de veiller à ce que ce livre « qui ne correspond pas au contenu des programmes établis par le ministère, ne figure pas dans les centres de documentation et d’information des établissements scolaires ». En Suisse, les responsables de l’instruction publique ont même demandé que les établissements scolaires refusent la livraison de l’ouvrage, parce que « le livre ne correspond pas aux théories scientifiques actuelles et ne respecte pas la séparation entre l’enseignement laïc et confessionnel ».


Au-delà de l’actualité, les relations entre sciences et croyances


Ces faits d’actualité reposent évidemment la question des relations entre les croyances religieuses et les sciences. Ces relations peuvent théoriquement se vivre selon quatre grandes modalités différentes, même si la réalité pratique est souvent mélangée.


Des relations sur le mode du conflit. Première manière de concevoir les relations entre sciences et foi : le conflit. Les tenants du discours religieux comme ceux du discours scientifique s’excluent mutuellement si les affirmations de l’autre ne correspondent pas à leur propre discours. Historiquement, cela s’est vécu de cette manière dans l’Eglise catholique avec l’affaire Galilée parce qu’il était inconcevable que la terre ne se trouve pas au centre de l’univers. C’est encore le cas aujourd’hui pour les tenants du créationnisme : la science se trompe puisqu’elle dit des choses différentes de la Bible (ou la Bible n’a aucune valeur puisqu’elle décrit l’origine du monde d’une manière qui ne correspond en rien aux découvertes scientifiques).


Une autre manière de concevoir les relations entre sciences et foi : la séparation des compétences. Religion et science n’ont pas le même objectif et leurs discours ne visent donc pas le même niveau de la réalité. C’est la position que défendait Galilée quand il fut mis en procès parce qu’il défendait les positions coperniciennes : « La Bible nous apprend comment on va au ciel et pas comment est fait le ciel... ».


Troisième attitude possible : l’intégration. Il s’agit ici de réconcilier les deux discours en utilisant l’un des deux pour cautionner l’autre. Un exemple : lorsque la théorie du big bang pour l’origine de l’univers fut développée par un catholique, le chanoine Lemaitre, certains catholiques y virent l’occasion d’un accord avec une création par un être supérieur. L’évolution de l’univers au départ d’une explosion originelle semblait de nature à appuyer un « dessein intelligent » à l’Å“uvre dans l’histoire de l’univers, manière de voir que refusait Lemaitre lui-même, trop conscient de la portée différente d’une théorie scientifique. On trouverait le pendant de cette position du côté islamique. Un site islamique [4] réaffirme ainsi l’authenticité du Coran par le biais de dialogues entre un religieux et un scientifique, dialogues qui tentent à démontrer que le Coran disait il y a déjà très longtemps ce que les scientifiques les plus récents ont découvert.


Quatrième attitude possible, qui nous semble la plus enrichissante : la complémentarité des deux discours. Le discours religieux et le discours scientifique sont d’ordres différents, mais ils peuvent s’interpeller l’un l’autre. L’homme ne peut pas vivre de manière schizophrénique. Les personnes qui vivent une foi religieuse doivent accepter les faits scientifiques. Mais ils doivent aussi se montrer critiques et lucides vis-à-vis du discours scientifique, chose que les scientifiques eux-mêmes ne nient pas. L’histoire des sciences le rappelle suffisamment, les théories scientifiques sont généralement provisoires et ne donnent que la vision la plus cohérente de la réalité en fonction des connaissances du moment. Mais ces connaissances progressent et remettent donc sans cesse en question les théories. Par ailleurs, la science ne dit jamais le dernier mot de l’homme, du sens de sa vie. Le discours religieux a donc aussi un rôle d’interpellation vis-à-vis de la science, de ses techniques et de ses projets.


Seulement un débat d’experts ?


Ce type de débat peut paraître très théorique à certains parents, à mille lieues de leurs préoccupations quotidiennes. Pourtant, derrière ce débat se situent des enjeux fondamentaux. Si des argumentations de type religieux sont susceptibles de mettre en veilleuse l’esprit critique et scientifique de jeunes [5] pourtant formés intellectuellement, on imagine les dérives possibles. On ne peut donc qu’inciter les parents à être attentifs. S’ils ont des convictions religieuses qu’ils souhaitent faire partager à leurs enfants, qu’ils soient attentifs dès le plus jeune âge de leurs enfants à la manière dont ils présentent les textes sacrés à leurs enfants, non pas comme des vérités intangibles mais comme des textes symboliques, toujours réinterprétés au sein d’une communauté, avec l’apport de toutes les sciences critiques et historiques. Par ailleurs, s’ils ont écho de démarches visant à soutenir des thèses créationnistes au sein de l’établissement que fréquente leur(s) enfant(s), la première réaction est sans doute d’échanger à ce sujet avec leur enfant et de voir à quel point il est influencé par ces discours. Essayer ensuite d’en parler avec l’enseignant concerné. Si cela ne porte pas de fruit, reste à alerter la direction de l’école et en dernier recours, l’inspection. Il ne s’agit de simples affrontements entre deux théories mais de la volonté d’un discours de type religieux à vouloir régenter la vie des individus, jusque dans les matières scientifiques qui sont enseignées [6] .

 

 


[1] conférence organisée par le R’Atelier à Malonne en novembre 2007
[2] la théorie de l’évolution des espèces de Darwin date de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle
[3] circulaire n°1811 du 22/03/2007, Mise en garde à propos de la diffusion du document intitulé « Atlas de la Création » dans les établissements d’enseignement
[4] voir http://islamfrance.free.fr/univers.htlm
[5] L’ULB a mené une enquête (http://www.didac.ehu.es/antropo/12/12-1/Perbal.htm) auprès des étudiants bruxellois en 2006. Près d’un quart des étudiants interrogés adhéraient à l’explication créationniste de l’origine de l’homme. Et la très grande majorité de ceux qui choisissaient des réponses de type créationniste étaient de confession musulmane
[6] analyse réalisée par José Gérard, Couples et Familles

 

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